Entretien avec Sandrine Mirza, historienne, à l'occasion de la parution de son ouvrage, «Le journal d'un poilu» (Éditions Gallimard Jeunesse), conçu à partir des documents légués par son arrière-grand-père, André Beaujoin, fantassin pendant la Grande Guerre.
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Le journal d'un poilu, de Sandrine Mirza
À partir des documents légués par son arrière-grand-père, Sandrine Mirza retrace la vie d’un poilu En savoir plus - Feuilleter quelques pages - Découvrir la séance pour le cycle 3 - Découvrir la page facebook À partir du 25 avril 2014, participez au concours et gagnez peut-être un exemplaire du livre ! |
1) Racontez-nous la genèse de ce livre…
Ce livre raconte l’histoire de mon arrière-grand-père, André Beaujouin, et de mon arrière-grand-mère, Antoinette Creuzet. Je les ai bien connus car j’avais 16 ans à la mort d’André et 24 ans à la mort d’Antoinette. Mais mes arrière-grands-parents ne m’ont jamais parlé de la guerre. C’est leur fille, ma grand-mère Carmen, toujours vivante, qui m’a fait découvrir cette partie de leur vie. Comme je suis historienne, elle m’a un jour donné un «trésor» : toute leur correspondance pendant la guerre, soit 410 lettres et 230 cartes postales, plus le carnet de route d’André. Je me suis immédiatement passionnée pour cette incroyable documentation et j’ai voulu en faire un livre, surtout pour expliquer à mes enfants et à tous les jeunes les réalités de la guerre. Afin que les faits historiques soient bien clairs, j’ai enrichi les éléments «personnels» de données «contextuelles» : l’Europe en 1914, l’uniforme du soldat, les tranchées, les moyens de transport, Verdun, etc.
2) Qui était André Beaujouin ? Pourriez-vous nous retracer brièvement son parcours dans la Grande Guerre ?
André est né en 1895. En 1914, il a 19 ans. Il vit chez ses parents, à Maisons-Alfort (Val-de-Marne actuel), et travaille comme employé de bureau à l’usine des alcools Suze. Il est mobilisé en décembre 1914 et part sur le front français. Il monte au feu pour la première fois aux Éparges (Meuse). Puis, il combat à Notre-Dame-de-Lorette (Nord-Pas-de-Calais), en Champagne, en Argonne, dans la Somme et au Chemin-des-Dames (Aisne). Il est blessé trois fois et, en 1917, il est en convalescence près de Melun, à Ponthierry. Là, il rencontre le grand amour de sa vie, Antoinette. Elle a 16 ans ; sa famille tient le café-restaurant «Au Petit Robinson». Ils s’aiment, mais André doit repartir à la guerre. Cette fois, il part dans les Balkans, avec l’armée d’Orient. Il traverse l’Italie, cantonne en Grèce, participe à l’offensive contre les Bulgares et entre en Roumanie. Il finit son voyage en Bessarabie, à la frontière ukrainienne. Il est démobilisé en août 1919. Il rentre en France en septembre et épouse Antoinette en octobre !
3) En quoi est-il représentatif du Poilu ?
André est l’archétype du poilu. C’est un simple soldat, un fantassin. Du reste, il marche beaucoup. A partir de 1916, il reçoit une formation particulière et devient téléphoniste – signaleur. Il participe à plusieurs grandes batailles comme les Éparges, Notre-Dame-de-Lorette et le Chemin-des-Dames. Lors de l’offensive Nivelle, au Chemin-des-Dames, il se bat à Craonne et prend d’assaut le plateau de Californie. Son périple dans les Balkans est un peu plus original, mais tout aussi intéressant. Il nous renseigne sur une partie souvent moins connue de la Première Guerre mondiale. André est également représentatif car il couvre toute la guerre, de 1914 à 1919. Il a échappé à la mort, ce qui est une sorte d’exploit !
4) Qu’a-t-il laissé comme documents, en plus de son journal ? Et qu’avez-vous sélectionné pour cet ouvrage ?
J’ai récupéré beaucoup de courriers : André y raconte la guerre, les tranchées et les pays qu’il traverse. Antoinette parle de l’arrière, des restrictions et des bombardements. J’ai également retrouvé quelques photographies, le livret militaire d’André et divers papiers militaires (surtout des bulletins de santé). Pour authentifier toutes ces informations, j’ai consulté l’ «état signalétique et des services» d’André, c’est-à-dire son dossier militaire, conservé aux Archives de Paris. Enfin, j’ai beaucoup travaillé avec les JMO, les « journaux des marches et des opérations », qui rapportent la vie des unités. Face à une documentation aussi importante, la sélection a été relativement difficile, voire frustrante ! J’ai gardé l’essentiel de l’information et les plus beaux documents iconographiques. Certains sont même reproduits en fac-similés : livret d’André, cartes postales de l’époque, lettre à l’envers d’Antoinette, journal de tranché, etc.
5) Que retiendrez-vous de son expérience de la Grande Guerre ?
Sans hésitation : la souffrance. André raconte peu les combats, mais parle de «boucherie humaine». En revanche, il parle de la peur, des conditions de vie abominables, de l’attente, de l’ennui et du «cafard» qui ne le lâche pas. Il dit : «Quelles souffrances, dans ces moments ma cervelle se met en feu, je me lancerais dans un mur de rage de me voir impuissant devant mon retour… »
6) Quelles difficultés peut poser l’écriture de l’histoire de sa propre famille ?
Je n’ai pas rencontré de grosses difficultés. J’ai été très soutenue par toute ma famille, qui a vu ce livre comme un hommage. J’ai travaillé sur André comme sur n’importe quel personnage historique, en essayant de vérifier les faits et de ne pas trahir l’esprit.
7) Quels ouvrages (romans, documentaires) ou quels films recommanderiez-vous à des élèves de cycle 3, pour compléter Le journal d’un poilu et appréhender au mieux la Première Guerre mondiale ?
J’aime beaucoup Cheval de guerre, de Michael Morpurgo (roman, Folio Junior), J’ai vécu la Première Guerre mondiale, de Jean-Yves Dana (documentaire, Bayard Jeunesse), Des hommes dans la Grande Guerre, d’Isabelle Bournier et Tardi (documentaire BD, Casterman), 14-18, la Grande Guerre, de François Bertin (documentaire, Ouest-France). Je trouve intéressant le documentaire télévisuel Apocalypse : La Première Guerre mondiale, d’Isabelle Clarke et Danielle Costelle (France 2), mais il y a quelques passages difficiles qui peuvent choquer les enfants. Par ailleurs, je trouve primordial de visiter les hauts lieux de la Première Guerre mondiale : l’Historial de Péronne, le musée de Meaux, Verdun (l’ossuaire de Douaumont, les forts, les villages martyrs), les autres champs de bataille et leurs mémoriaux (le Chemin-des-Dames et la caverne du dragon, Arras et la carrière Wellington, Vimy et les tranchées canadiennes, etc). Cent ans après, on y sent toujours le souffle de la guerre, on y voit encore ses dévastations.