« Il y a un grand bonheur dans la vie, c’est la lecture. Si vous lisez, vous êtes plus heureux et, où que vous alliez, vous avez un livre dans votre poche qui vous permettra de vous évader. » Michel Tournier
Retrouvez dans ce dossier une biographie et une interview de l'auteur, ainsi que des pistes pédagogiques pour étudier ses œuvres au collège.
Michel Tournier est né en 1924, d’un père gascon et d’une mère bourguignonne, universitaires et germanistes. Les parents envoient chaque année leurs enfants en vacances à Fribourg-en-Brisgau dans un foyer d’étudiants catholiques où ils peuvent pratiquer la langue. Michel Tournier est alors, selon ses dires, «un enfant hypernerveux, sujet à convulsions, un écorché imaginaire». En 1931, il est envoyé dans un home d’enfants, en Suisse, pour des raisons de santé. Il se passionne pour la musique. De ses séjours en Allemagne, il dit : «J’ai connu le nazisme à neuf ans, à dix ans, à onze ans, à douze ans. Ensuite ç’a été la guerre». Il se souvient des parades militaires du nazisme, des discours du Führer dénoncés par son père.
«Mauvais écolier», il est exclu de plusieurs établissements puis, dès 1935, fait ses études au collège Saint-Erembert de Saint-Germain-en-Laye avant d’être inscrit comme pensionnaire chez les pères d’Alençon.
En 1941, la famille quitte la grande maison familiale de Saint-Germain-en-Laye, occupée par l’armée allemande, pour un appartement à Neuilly. Michel Tournier découvre alors la philosophie au lycée Pasteur de Neuilly, où il a pour maître Maurice de Gandillac et pour condisciple Roger Nimier. Les livres de Gaston Bachelard, découverts pendant les vacances, le décident à opter pour une licence de philosophie après le baccalauréat. Étudiant à la faculté des lettres de Paris, il soutient un diplôme de philosophie à la Sorbonne. En 1946, il obtient de se rendre en Allemagne, à Tübingen, où il rencontre Gilles Deleuze, pour apprendre la philosophie allemande. Il y reste quatre ans et, à son retour, se présente au concours de l’agrégation de philosophie, où il échoue. «Ma vie a été détruite, j’étais en morceaux» confie-t-il.
Pour gagner sa vie, il fait des traductions chez Plon puis entre à la radio. En 1955, à la création d’Europe n° 1, il fait partie de l’équipe. Il rédige les messages publicitaires «de couches culottes, de démaquillants et de la lessive». En 1959, il entre chez Plon. Il propose aussi à la télévision une émission mensuelle, Chambre noire, consacrée aux grands photographes.
Il publie son premier roman en 1967, Vendredi ou les limbes du Pacifique, couronné par le grand prix de l'Académie française, d’après lequel il écrit par la suite Vendredi ou la vie sauvage, pour les jeunes lecteurs. Le Roi des Aulnes obtient le prix Goncourt en 1970. C’est le début d’une carrière entièrement dédiée à la littérature. Dès lors, Michel Tournier, dans son vieux presbytère de la vallée de Chevreuse, se consacre au «métier d'écrivain».
Il voyage au Canada, en Afrique noire, au Sahara.
Depuis 1972, il siège à l'Académie Goncourt, partage son temps entre écriture, articles, mais aussi rencontres avec son public, la jeunesse.
Gallimard Jeunesse : Quand avez-vous commencé à écrire ?
Michel Tournier : La vocation vient habituellement de l’admiration pour un métier ou une œuvre. Mon premier «choc» littéraire a été Le merveilleux voyage de Nils Holgerson, de Selma Lagerlöf, que l’on m’a donné quand j’avais neuf ans. J’en possède toujours l’exemplaire. J’ai pensé alors qu’il n’y avait rien de plus beau qu’un livre. Mes lectures ultérieures ne m’ont pas déçu. Les étudiants français de Rio de Janeiro m’ont demandé récemment quelle œuvre littéraire il fallait lire si l’on n’en lisait qu’une seule. J’ai répondu Trois Contes, de Gustave Flaubert. À partir de là, j’ai écrit des narrations ou des lettres à des amis avec l’idée d’atteindre le meilleur niveau littéraire. À mes yeux, c’étaient mes premières œuvres.
G.J. : Écrivez-vous chaque jour ?
M.T. : Oui, j’écris chaque jour, mais bien sûr, pas une ou deux pages bonnes à publier telles quelles. Cela ferait une œuvre gigantesque. Or je suis au contraire l’un des auteurs les plus «parcimonieux» qui soient. Une dizaine de livres au total. C’est bien pour ceux qui veulent avoir tout lu de moi.
G.J. : Êtes-vous un auteur à temps complet ?
M.T. : Oui, en ce sens que je ne fais que cela et que je ne pense qu’à cela. Mais il y a les «petits boulots» et le «grand métier». Le grand métier, cela consiste à écrire un roman ou des nouvelles. Les petits boulots répondent à des commandes variées, urgentes, et qui demandent peu de temps. Par exemple, faire un article pour un journal, une préface pour un livre, une conférence en France ou à l’étranger. Récemment un magasin de luxe vendait pour Noël des petits animaux en cristal pouvant tenir dans la main. Il y avait un chat, un lapin, une chouette, un canard et une tortue. On m’a demandé, pour la publicité, de rédiger l’éloge en dix lignes de chacune des bestioles. Ou bien c’est une devise d’une ligne à écrire sur le mur d’une bibliothèque pour les jeunes (j’ai proposé : « Lisez, lisez, lisez, ça rend heureux et intelligent ! »). Ces petites commandes sont amusantes, mais elles peuvent faire perdre du temps.
G.J. : Qu’est-ce qui vous inspire ?
M.T. : Ce qui m’inspire, c’est un grand sujet. Par exemple, dans Vendredi, le drame de la solitude de Robinson et ensuite les difficultés de sa confrontation avec le sauvage Vendredi. Dans La Goutte d’or, c’est le travailleur immigré nord-africain en France…
G.J. : Vous avez dit que Robinson et Vendredi sont des mythes, pouvez-vous l’expliquer ?
M.T. : Les mythes sont des personnages très typés, par exemple Tristan et Yseult, Dom Juan, Faust, l’Ogre, qui sont à la portée de tout le monde, qu’on dessine très facilement, que les enfants connaissent, dans lesquels on peut se déguiser et qui, en même temps, représentent une idée, une idée très importante, Tristan, c’est la fidélité, c’est l’amour fidèle, criminel parce que Yseult est mariée… L’une des caractéristiques du mythe c’est que vous créez un personnage de roman et il échappe au roman, il va se promener dans d’autres œuvres. Ça c’est typique, c’est le cas de Dom Juan. Robinson Crusoé s’est échappé. Il y avait Daniel Defoe le créateur et combien y a-t-il eu de robinsonnades ? Qu’est-ce que c’est que Robinson ? Vous prenez un homme, vous le mettez dans une île déserte pendant vingt ans. Que va-t-il faire ? Il va devenir fou, il va devenir génial, il va mourir de faim. C’est une expérience fondamentale. Sa mémoire, son langage, sa sexualité… Comment tout cela va-t-il évoluer ? C’est une expérience de laboratoire absolument unique. Et une seconde expérience. Au bout de vingt ans, vous lui envoyez un compagnon, non pas un Anglais barbu et puritain, mais un sauvage. Que vont-ils faire ensemble ? Vous avez le problème de la solitude et de toutes les facultés humaines coupées de la société, et ensuite le problème fondamental nord-sud.
G.J. : Pour nourrir vos livres faites-vous des recherches ?
M.T. : Le réalisme, ça commence peut-être avec Flaubert qui est allé à Carthage pour Salammbô. Mais le grand patron des recherches, c’est Zola. Il disait : «Il y a un grand sujet, les mines de charbon, je n’ai jamais mis les pieds là-dedans, je vais écrire le grand roman des mines de charbon, cela s’appellera Germinal. » Il va à Liévin, y met l’uniforme de mineur et descend au fond. Ça, c’est la méthode de Zola. C’est une méthode que j’ai adoptée, c’est-à-dire que je ne m’intéresse pas à moi-même, mes sujets ne sont pas de l’ordre de ma vie privée, ce sont pour moi des grands sujets. Pour La Goutte d’or, j’ai traversé deux fois le Sahara, je suis allé aux abattoirs municipaux de Chartres. Je suis allé voir mon boucher, je me suis levé à 5 heures, j’ai passé la matinée la plus affreuse de ma vie.
G.J. : Quel est selon vous le rôle de l’écrivain ?
M.T. : Un écrivain doit enrichir sa propre langue. Il enrichit son patrimoine. J’aime les mots. Le triomphe quand on invente un mot c’est de le retrouver dans le dictionnaire. J’ai inventé «héliophanie» pour Vendredi. Un jour, je reçois la nouvelle édition du Robert et je lis : «héliophanie, lever du soleil, mot rare et ancien». Rare, oui, ça n’avait été utilisé qu’une seule fois, mais ancien, non, ça remontait à 1967, et en citation : la phrase de mon Vendredi. Cela n’arrive qu’une fois dans votre vie. L’écrivain a pour fonction naturelle d’allumer par ses livres des foyers de réflexion, de contestation, de remise en cause de l’ordre établi. Inlassablement, il lance des appels à la révolte, des rappels au désordre, parce qu’il n’y a rien d’humain sans création, mais toute création dérange. Le métier d’écrivain est un métier de création. C’est pourquoi il est si souvent poursuivi et persécuté.
G.J. : Quel rapport avez-vous avec la célébrité ?
M.T. : Pour moi, ce qui compte c’est l’œuvre. J’écris un livre et puis c’est terminé. Je déteste qu’on m’aborde dans la rue et qu’on me reconnaisse. Je pense qu’un écrivain n’est pas une vedette de cinéma. C’est le livre qui doit être connu, ce n’est pas l’écrivain. Une des choses les plus merveilleuses qui puisse m’arriver, c’est de voir dans le métro quelqu’un plongé dans un de mes livres, et je ne dis rien.
G.J. : Quel conseil donneriez-vous à un écrivain débutant ?
M.T. : Pour apprendre le métier d’écrivain, il n’y a que deux choses à faire. D’abord, lire, lire et encore lire. De bons livres naturellement. On n’a jamais vu un écrivain qui n’a pas été un lecteur passionné dans sa jeunesse. Encore aujourd’hui, je lis plusieurs heures par jour. Ensuite, il faut écrire. Écrire tous les jours. Tout ce qu’on fait sérieusement, on le fait tous les jours. La peinture, la musique, le sport, les mathématiques… Et le mieux pour écrire tous les jours, c’est de tenir un journal. S’efforcer de noter chaque jour quelque chose et donc d’observer toute la journée pour avoir quelque chose à noter le soir. Mais attention ! C’est un métier solitaire, et c’est très dur. La plupart des métiers s’exercent en équipe, ou au contact d’autres personnes. Le pauvre écrivain travaille tout seul, n’a personne pour l’aider, le consoler, le féliciter. Il y en a qui préfèrent cette solitude. Ce n’est pas mon cas. J’en souffre, mais, par malheur, je suis incapable de travailler avec quelqu’un. C’est aussi un métier merveilleux. Chaque livre est une aventure totalement nouvelle : rassembler la documentation, écrire le livre, le voir sortir en librairie et suivre son destin. C’est comme votre enfant qui s’aventure seul dans le monde. Il reçoit des fleurs, il reçoit des coups. Vous vous réjouissez et vous souffrez pour lui. La qualité la plus importante pour un écrivain, c’est la patience.
G.J. : Vendredi ou la vie sauvage est un best-seller de la littérature de jeunesse…
M.T. : C’est un livre meilleur : Vendredi ou les Limbes du Pacifique amélioré en écartant tout ce qui est trop philosophique. Tout est condensé. Le succès de Vendredi ou la Vie sauvage est absolument fabuleux. On en est à 7 millions d’exemplaires en France, avec une trentaine de traductions. C’est le seul de mes livres traduit en russe. Il est traduit en Tunisie ! Je suis un auteur pour les jeunes.
G.J. : Quelle place ont les jeunes, les visites dans les écoles ?
M.T. : Je suis invité, je reçois des tas de lettres. Un professeur me dit : «Voilà trois mois que je lis avec mes élèves Vendredi ou la vie sauvage. Ils ont mille questions à vous poser. Est-ce que vous voulez venir ? Éventuellement, on vient vous chercher ». Je dis oui ! Les élèves sont très durs. J’ai un exemple récent d’un élève qui s’est aperçu que ça avait un rapport avec Robinson Crusoé, de Daniel Defoe; il me dit : «Ça vous arrive souvent de recopier vos livres dans ceux des autres ?» Mais les élèves sont très contents. Je reçois très souvent des lettres de remerciements. Je dis souvent aux enfants : il y a un grand bonheur dans la vie, c’est la lecture et si vous lisez, vous êtes quelqu’un de supérieur, vous êtes plus intelligent et plus heureux que ceux qui ne lisent pas et, où que vous alliez, vous avez un livre dans votre poche qui vous permettra de vous évader.
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